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KRIEGEL Maurice, Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l’Europe méditerranéenne, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1979, 298 p.

Par
Notes bibliographiques

Sommaire

Résumé

Maurice Kriegel propose d’étudier, à partir des monographies réalisées jusqu’alors, la judaïcité qui s’épanouit dans les derniers siècles du Moyen Âge de la Castille à la Provence. Loin de célébrer la péninsule Ibérique comme l’exemple par excellence de la « tolérance » médiévale à l’égard des juifs, il considère que l’infériorité sociale et la marginalité économique sont la toile de fond de l’existence de ces derniers. Cette situation n’interdit cependant pas la collaboration entre majorité et minorités, dans la mesure où chaque groupe remplit une fonction bien circonscrite.

La ségrégation des juifs, à la fois enveloppe protectrice et instrument de domination, se radicalise vers 1300, dans le contexte de l’essor des politiques d’enfermement des marginaux en Occident, et aboutit, dès le bas Moyen Âge, à transformer le quartier juif en ghetto. En outre, l’intervention des notions de pur et d’impur contribue à enfermer les juifs dans la position qui est celle d’une caste d’intouchables (chap. 1 et 2).

Dans ces conditions, les juifs sont cantonnés à la sphère de la circulation par le biais du crédit et du courtage dont ils ont le quasi-monopole (chap. 3). Ils n’ont pas de capital propre et n’occupent que des secteurs marginaux de la transformation, comme par exemple le travail du corail à Marseille. L’auteur défend en effet l’idée que l’activité économique des juifs au bas Moyen Âge n’est guère signifiante du point de vue de l’histoire économique en général, et qu’elle suffit, tout au plus, à leur assurer une aisance plutôt étriquée.

En outre, l’autonomie dans le cadre de la communauté n’est qu’une illusion, dans la mesure où elle sert d’abord les intérêts de l’autorité non juive en facilitant la collecte de l’impôt (chap. 4). L’ordre moral sévère qui règne dans la communauté favorise les luttes entre clans, sur le modèle des villes italiennes. Ce contexte nuit aux philosophes maïmonidiens, de plus en plus rejetés par les kabbalistes (chap. 5). Cependant, l’effondrement des communautés juives à la fin du Moyen Âge est avant tout le fait de l’action missionnaire des Ordres mendiants. Quant à l’expulsion de 1492, elle aurait eu pour but, selon l’auteur, d’éliminer l’influence des juifs sur les Nouveaux Chrétiens et d’éradiquer tout risque d’apostasie de la foi chrétienne au sein d’une société en quête d’homogénéité.

Points forts

  • La perspective centrale de l’ouvrage est aussi la plus contestée. Il s’agit de la thèse de la marginalité qui réduit le juif médiéval au statut « d’intouchable », point de vue développé ensuite dans le schéma de Robert Moore1. Selon Maurice Kriegel, la législation municipale traduirait la répulsion qu’éprouve la société urbaine à l’égard des juifs et renforcerait le système de contre-interdits alimentaires mis en place par l’Église à partir du début du xiiie siècle. Ainsi, le quartier juif serait devenu un ghetto bien avant le cas vénitien du début du xvie siècle. Cette thèse sert l’idée de l’auteur selon laquelle les communautés juives de la péninsule Ibérique et du Midi de la France n’ont pas eu une histoire heureuse au Moyen Âge.

  • L’autre point discuté est celui des raisons pour lesquelles les Espagnols ont décidé d’expulser les juifs en 1492. Maurice Kriegel insiste sur la volonté d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand II d'Aragon de réaliser l’unité religieuse de leur royaume. Il s’oppose ainsi aux explications d’ordres politique et socio-économique qui tendent, elles, à démontrer que le patriarcat urbain aurait exercé de son influence dans le but de voir disparaitre les Nouveaux Chrétiens, au faîte des gouvernements municipaux. Les rois catholiques, qui sont alors en lutte avec l’aristocratie, auraient cherché à satisfaire les couches urbaines pour se les allier.

  • L’auteur s’oppose néanmoins à la conception qui considère que le judaïsme médiéval est « une religion en conserve ». Au contraire, il définit ce dernier comme une religion vivante. Le Midi de l’Europe médiévale est le lieu de rencontre entre deux manières de vivre son appartenance au judaïsme, à savoir le modèle ibérique, qui maintient l’égalité entre culture profane et études sacrées, et le modèle ashkénaze, qui ne reconnaît pas de place légitime aux savoirs du siècle. L’auteur montre que le judaïsme méditerranéen se renouvelle en profondeur à la fin du Moyen Âge. L’héritage n’est pas admis mécaniquement, ni saisi de manière naïve. Au contraire, les philosophes et les kabbalistes s’attachent à le repenser.

JS

NOTES DE BAS DE PAGE

1  R. Moore, The Formation of a Persecuting Society, Oxford, 1987, tr.fr. 1997.

NUAGE DE MOTS-CLEFS

Référence du document

Recension : « Sibon Juliette, Kriegel Maurice, KRIEGEL Maurice, Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l’Europe méditerranéenne, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1979, 298 p. » 2009, , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/kriegel-maurice-juifs-a-fin-du-moyen-age-leurope

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