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Enseignement des faits religieux et enseignement des langues vivantes


Par Kamoun José

Sommaire

Enseigner le fait religieux comme un fait culturel parmi d’autres au sein d’une civilisation, ou contribuer par des approches propres à sa discipline aux objectifs spécifiques qui sont ceux de cet enseignement ?

L’enseignement des langues et cultures n’a jamais ignoré la dimension religieuse des civilisations qu’il représente, dans tous les sens du terme. Au cours des études secondaires, il lui fait une part variable selon les langues et les cycles, mais l’identifie clairement comme une question culturelle. S’il ne s’agissait que de légitimer sa place, nous ferions ici un simple rappel, un renvoi aux programmes.

Mais c’est une chose d’intégrer les manifestations du religieux dans des contenus culturels, et c’en est une autre de s’inscrire dans une démarche transdisciplinaire selon sa propre discipline (la discipline-langue) et au-delà, selon la configuration d’une langue particulière.

Les atouts de la discipline-langue dans l’élargissement de la représentation du monde

Les programmes de l’enseignement secondaire, collège et lycée, sont translinguistiques tant du point de vue des compétences visées en langue que de celui des contenus culturels. Cette approche manifeste la volonté de considérer qu’il existe un enseignement des langues et cultures, peut-être une culture « linguistique », comme on dit artistique, littéraire, scientifique, soulignant ainsi que la spécificité ne tient pas tant aux objets étudiés, phénomènes, œuvres, qu’à la manière de les aborder.

La « culture linguistique », donc, celle que les enseignants de langues seraient les mieux placés pour construire, opère un décentrage qui apparente sa démarche à celle de l’anthropologie sociale, de l’ethnologie ; elle confronte les représentations du monde induites par la culture et parfois par la langue elle-même, et les renvoie en miroir à celles de la langue maternelle ; elle permet d’aller voir ailleurs, et qui plus est, d’ailleurs (pour penser le mythe comme mythe, il faut visiter les nôtres et les autres). C’est d’autant plus vrai que les cours de langues sont assurés par une proportion minoritaire mais non négligeable de professeurs issus de la culture enseignée, et peuvent bénéficier du concours d’un assistant étranger. On pourrait encore ajouter que traiter un problème sensible depuis l’autre rive a le pouvoir de lever une part des affects. Tout porterait donc à croire que l’enseignant de langue met à profit ces conditions favorables pour faire réfléchir ses élèves sur la dimension religieuse de la culture.

L’observation des classes conduit cependant à nuancer cet optimisme.

Des disparités révélatrices entre les langues

Tout d’abord, si la problématique commune est donnée par le programme commun, et il s’agit d’un programme fondé sur des notions et des concepts, les documents d’accompagnement le déclinent différemment selon les langues et les cultures, avec la pertinence propre à chacune. Cette pertinence, cependant, n’est pas uniquement dictée par des données objectives. La culture de l’autre n’est pas observée en milieu stérile, mais à partir de la nôtre.

Un enseignant des langues de culture française n’abordera pas de la même façon une culture dominée par la même religion que la sienne (catholique) qu’une culture protestante, bouddhiste, de l’islam. On n’en veut pour preuve que les programmes de civilisation dans les diverses agrégations de langue et la place variable qui y est faite au fait religieux – voire à l’œuvre à résonnances religieuses, en littérature – au fil du temps et selon les langues.

Il apparaît sans peine que le fait religieux n’attend pas tout à fait au même tournant le professeur d’arabe, celui d’italien, ou celui d’anglais, par exemple, et on ne s’étonnera pas de constater que seul le document d’accompagnement d’arabe ménage une place particulière à la question, dans une partie intitulée : « Aborder le contenu religieux des documents ».

Au-delà de l’incidence politique éventuellement brûlante, la religion de l’autre, familière ou énigmatique, n’a pas la même visibilité selon les cas, dans la langue elle-même (proverbes, blasphèmes et jurons, métaphores, etc.), dans le patrimoine culturel tel qu’on peut l’observer – l’architecture et les arts, plastiques en particulier, mais aussi la musique, qu’on la dise sacrée ou liturgique, qu’elle soit grégorienne ou de gospel, l’œuvre littéraire – et enfin dans l’histoire et l’histoire des mentalités.

Ainsi, on peut avancer que si le professeur d’italien a du mal à échapper au catholicisme dans le paysage (littéral et figuré) de la culture qu’il enseigne, la religion protestante est pour le professeur d’anglais de culture catholique quasiment une religion « en creux », dont les dogmes et les textes fondateurs lui sont souvent mal connus, et qui, par ailleurs, ne sollicite pas l’observation par des monuments mémorables ou des icônes incontournables – et pour cause.

Pour autant, il ressort des documents d’accompagnement que l’allemand s’intéresse nommément à Luther au chapitre « opposition au pouvoir religieux », par exemple, alors que le document d’accompagnement de l’anglais ne suggère pas de traiter la naissance de l’anglicanisme, ou un véritable approfondissement des dogmes puritains en relations avec la fondation, les fondements de l’Amérique – ce qui serait tout de même, pour reprendre le formule de Régis Debray, une mise en généalogie aussi féconde que nécessaire.

Qu’est-ce « traiter », « enseigner » le fait religieux au cours de langues ?

Il importe et incombe donc aux linguistes d’enseigner le fait religieux pour permettre une compréhension approfondie de la culture de l’autre, avec ses valeurs, sans oublier son imaginaire (même et surtout s’il ne saute pas aux yeux que cet imaginaire soit nourri de religion), mais aussi pour mettre au jour que le rapport à la religion diffère selon les cultures, de même que peut varier la valorisation de la « libre pensée », ou de la « liberté de conscience ». On pourra s’attacher à faire apparaître selon une étude plus proprement politique les institutions régissant les rapports entre la religion et l’état, en les envisageant dans leur dimension historique.

Cette remarque nous renvoie aux quatre objectifs de l’enseignement du fait religieux : un objectifintellectuel, qui est la compréhension du monde contemporain ; un objectif civique, l’éducation à la tolérance ; un objectif patrimonial, permettre l’accès aux œuvres comme systèmes symboliques, et enfin, un objectif culturel nourri des trois autres.

Les observations précédentes sur la disparité de volume ou de visibilité d’enseignement du fait religieux selon les langues suggère qu’on l’a traité davantage comme un contenu – à mentionner, à signaler, voire à expliquer brièvement – que comme un objectif, précisément, et sans le souci premier de croiser les regards d’autres disciplines sur la question.

L’enseignement du fait religieux ne devrait être ni folklorique au sens de pittoresque (description de photos de pèlerinage à la Mecque ou de déguisements de Halloween), ni archéologique (traces du religieux dans la langue), ni esthétique (commentaire « érudit » d’une Annonciation). Pour éviter ces écueils, il est souhaitable que l’enseignant dépasse le niveau descriptif, voire, d’ailleurs le niveau strictement explicatif (l’explication minimale et mécaniste). Selon l’âge et le niveau des élèves, il se préoccupera de restituer son épaisseur symbolique au phénomène étudié en le replaçant dans un système plus vaste (permanence / rémanence du paganisme dans les fêtes calendaires, rapports de filiation complexe entre mythe, rite et festivités) ; en art, valeur liturgique des attitudes codées du tableau, représentation du commanditaire, contrainte et liberté pour l’artiste ; en littérature, position stratégique d’un allusion biblique qui présuppose un savoir, et sans doute un respect, partagés (par quels canaux ?).

Car il s’agit bien de ne pas perdre de vue que le « fait » religieux recouvre une expérience humaine, individuelle et collective.

Autoriser les enseignants

Quelle que soit l’entrée privilégiée, littéraire, artistique, historique, sans doute les corps d’inspections, s’ils sont les relais de cette entreprise, devront-ils insister sur la notion d’objectif culturel, plus que de contenu. De même que le prétérit ne saurait être un objectif linguistique, l’Annonciation ne peut constituer un objectif culturel ; un enseignant qui définit son objectif de manière convaincante – pour lui-même au premier chef – a déjà gagné la partie.

Encore faut-il qu’il s’autorise à le faire, c'est-à-dire qu’il se sente légitime dans sa démarche. Or les enseignants des langues et cultures enseignent encore une matière intitulée LVE et non pas LVCE dans tous les textes officiels ; il faut attendre l’université pour que le mot culture apparaisse dans les intitulés. Il s’ensuit que les professeurs se sentent presque toujours à la fois mieux armés et plus légitimes dans la présentation du fait de langue que dans celle du fait culturel (n’y débordent-ils pas de leur compétence ?) qu’ils sont prêts à déléguer à leur collègue d’histoire, de philosophie, voire de lettres. Même lorsqu’ils participent à des projets transdisciplinaires du type IDD ou TPE, ils ont tendance à occuper une situation marginale, à proposer une illustration particulière, plutôt qu’à construire l’objet dans ses lignes de force.

Il importe donc de nous tourner vers l’amont du système scolaire, c'est-à-dire les programmes de civilisation (et aussi de littérature), depuis la licence jusqu’aux concours de recrutement des professeurs, vers leur formation initiale, mais aussi leur formation continue. On souhaite vivement que s’organisent des stages et séminaires autour de l’enseignement du fait religieux. Pour qu’un linguiste s’habilite à enseigner l’histoire des arts ou le fait religieux, il faut qu’il prenne conscience que sa discipline-langue pense et représente le monde selon des problématiques tout aussi constructives que celles d’autres disciplines dont le statut intellectuel est perçu comme une évidence.

José Kamoun

Inspectrice générale

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