Sommaire
Le programme de seconde a été élaboré rapidement ; en février 2010, il a été soumis à consultation, à laquelle l’IESR a participé avec un avis ; le 29 avril 2010, la version finale est publiée au Bulletin officiel, pour une mise en application à la rentrée 2010.
La version finale, comme le projet, donne peu de place aux différentes dimensions du religieux. Cette dimension est explicitement présente et de manière forte uniquement dans le thème 3, avec un chapitre sur la « Chrétienté médiévale ». Elle réapparaît dans le thème 4, avec l’étude obligatoire sur Constantinople comme « lieu de contacts entre différentes cultures et religions (chrétiennes, musulmane et juive) » et avec une étude obligatoire d’un Réformateur, mais il faut noter que cette dernière étude est incluse dans un chapitre « Les hommes de la Renaissance » qui est au choix avec le chapitre sur « L’essor d’un nouvel esprit scientifique et technique ». Enfin, notons, dans le thème 5, la mention du religieux dans la liste des bouleversements dus à la Révolution française. Cela reste donc au final bien peu. Il est vrai que les programmes sont écrits dans une langue succincte et qu’ils ne peuvent pas tout dire. Toutefois, en l’état, ils ne constituent pas une forte incitation à évoquer les dimensions religieuses. Les « Ressources » incitent quant à elles un peu plus que le programme à évoquer les faits religieux. La lecture des manuels de seconde révèle qu’ils évoquent la dimension religieuse plus que le programme et les ressources, ce qui est en soi intéressant [note 1 : À ce sujet, voir A. VAN DEN KERCHOVE, « History Textbooks within the Framework of French Laïcité », dans Myriam HUNTER-HENIN (éd.), Law, Religious Freedoms and Education in Europe, Farnham 2011 (Cultural Diversity and Law), p. 251-266.]
Notre but n’est pas de multiplier les références exclusives au religieux. Toutefois, il nous semble utile de faire comprendre aux jeunes que jusqu’à une époque récente (mais finalement encore maintenant dans certains cas), la dimension religieuse est inséparable de la dimension culturelle et qu’elle est, comme les dimensions économique, sociale et politique, une des composantes de l’histoire qu’il est indispensable d’aborder. Nous allons donner quelques exemples pris dans les différentes parties du programme, en utilisant aussi les manuels dont on vient de dire qu’ils parlent plus de la dimension religieuse que les programmes et que les Ressources.
Remarques générales
Vue la brièveté du programme, les auteurs des manuels ont une certaine liberté dans son interprétation. La lecture des manuels révèle d’importantes différences entre les eux et, au sein d’un même manuel, entre les différents chapitres, dans la manière de traiter de la dimension religieuse ; tout dépend à la fois du point de vue des auteurs des chapitres et également de la politique éditoriale du manuel.
Du fait de l’accent du programme sur l’Europe, la religion prédominante et étudiée pour elle-même est le christianisme, et plus spécifiquement le christianisme latin. Pour les autres religions, le point de vue adopté est soit celui de l’héritage chrétien (monde antique), soit la relation de groupes avec les chrétiens (islam et judaïsme), soit un point de vue chrétien.
Thème 1 : le peuplement de la terre
Ni le programme ni les ressources n’évoquent la dimension religieuse de ce thème. Si l’option est résolument démographique, cela ne doit pourtant pas exclure la dimension religieuse. Ainsi, « il serait utile de rappeler que naître et mourir à l’époque moderne n’échappe pas au contrôle de l’Église et que la religion des Irlandais est une composante majeure de leur émigration au XIXe siècle », pour reprendre les termes de l’IESR dans son avis sur le projet de programme.
Signalons toutefois le manuel dirigé par Hugo Billard, Histoire 2e. Programme 2010, Magnard, 2010, p. 18-19 [note 2 : Ce qui suit est une adaptation française de A. VAN DEN KERCHOVE, art. cit., p. 260.]. En effet, ce manuel a choisi d’évoquer la crise démographique en se focalisant sur la Grande Peste, dans un dossier de deux pages. Il montre comment cet événement dramatique modifie la relation à la mort et comment cette modification devient visible avec l’augmentation du nombre de processions. Le dossier enseigne ainsi aux jeunes deux choses :
- d’une part, religion et pratiques religieuses sont parfois étroitement liées aux événements sociaux et ont des dimensions sociales et anthropologiques,
- d’autre part, l’introduction ou la mutation de certaines pratiques religieuses ne peuvent se comprendre sans référence à des événements non religieux en eux-mêmes.
Thème 2 : l’invention de la citoyenneté dans l’Antiquité
Si le programme n’évoque pas la dimension religieuse de la citoyenneté dans l’Antiquité, les « Ressources » le font dans la rubrique Histoire des arts : « La vie politique à Athènes a une dimension religieuse et culturelle. » On peut simplement se demander pourquoi seule la vie politique à Athènes est ainsi mentionnée et pas la vie politique dans les cités de l’empire romain.
Les manuels sont intéressants de ce point de vue, car plus que dans les versions précédentes, ils évoquent la dimension religieuse de la citoyenneté. Tous les manuels mentionnent à juste titre le lien fort entre vie religieuse et vie politique à Athènes ; ils le font toutefois de manière différente, notamment dans la manière de présenter ce lien et dans la quantité d’informations qu’ils apportent. Mais seuls quelques-uns évoquent de manière explicite la dimension politique et civique des cultes civiques, à savoir la cohésion de la communauté ou la hiérarchie des citoyens par exemple.
Concernant l’empire romain, seuls quelques-uns mentionnent ce lien et plus généralement la dimension religieuse dans l’étude de l’empire romain, et en général ils traitent de cela plus rapidement que pour Athènes.
Suivant le programme, les manuels évoquent tous l’édit de Caracalla, mais un seul évoque les implications religieuses de cet édit.
S’il y a un progrès par rapport aux manuels antérieurs, force est de constater que Rome et les cultes dans l’empire romain restent encore un parent pauvre (dont témoignent les Ressources qui ne mentionne la dimension religieuse que pour Athènes).
S’il est difficile de tout dire (le programme est déjà suffisamment chargé), cette (quasi) absence relève en fait plus d’une position historiographique (qui a longtemps prévalu, et selon laquelle la religion romaine n’était pas vraiment digne d’intérêt) que d’une position pédagogique.
Les ressources, comme une grande partie des manuels, évoquent cette dimension religieuse uniquement pour Athènes. C’est un trait constant dans les programmes et les manuels de négliger la religion romaine, comme si l’étude ou l’évocation de la religion grecque dispensait de parler de religion romaine. Celle-ci est mentionnée surtout à travers les titres religieux de l’empereur et le culte impérial [note 3 : ce qui précède est une adaptation française de A. VAN DEN KERCHOVE, art. cit., p. 262].
Thème 3 : sociétés et cultures de l’Europe médiévale
Il s’agit du thème qui, dans le programme, fait une place explicite à la dimension religieuse, en particulière dans la première question « La chrétienté médiévale ».
La dimension religieuse n’apparaît explicitement que dans le thème trois :
La civilisation rurale dans l’Occident chrétien médiéval. Le thème comprend trois questions ; placée entre « la terre » et « la féodalité », la deuxième question est intitulée un monde chrétien ; le programme précise qu’il s’agit d’étudier « la christianisation et la vie religieuse des communautés rurales ». L’horaire conseillé fait apparaître qu’il est souhaitable d’y consacrer entre deux et trois heures.
- Thème 3, la civilisation rurale dans l’Occident chrétien médiéval : il semble difficile de traiter de la christianisation des campagnes à partir des thèmes proposés. Il est discutable d’affirmer que « les œuvres d’art » témoignent des croyances et des pratiques du monde rural. Les exemples de Bernard de Clairvaux ou d’Hildegarde de Bingen ne renvoient guère aux campagnes médiévales. De manière plus générale, pourquoi se limiter aux campagnes de l’Occident latin ? Pourquoi omettre les villes (nous sommes au temps des cathédrales) ? Pourquoi ne pas évoquer les échanges et les confrontations religieuses et culturelles, en Europe même et à l’intérieur du bassin méditerranéen ?
Thème 4 :
Dans le thème 4, elles débutent le document sur « L’essor d’un nouvel esprit scientifique et technique » par ces mots : « La période qui court du xvi au xviii siècle a été le théâtre d’un véritable basculement du cadre de pensée des sciences et techniques. Substituant progressivement la nouvelle conception rationnelle du monde au spiritualisme médiéval, ont progressivement émergé de nouvelles pratiques savantes et des changements techniques qui en se diffusant, se sont heurtés largement aux convictions fondées sur la tradition chrétienne. »
- Thème 4, Nouvelle vision de l’homme et du monde à l’époque moderne : la première question porte sur la diversité du monde. Est-il logique que Magellan apparaisse dans la question suivante ? L’étude de Constantinople à Istanbul, essentielle pour aborder des mondes différents du monde latin, devrait avoir une place spécifique et plus importante dans le programme. Rappelons que les Réformes, qui n’apparaissent pas en tant que telles dans le projet, sont inséparables de l’Humanisme et de la Renaissance. Il serait dommage que les choix proposés séparent le religieux, le mouvement littéraire et artistique et les progrès scientifiques et techniques. La cohérence de la séparation entre les questions deux et trois du thème quatre n’est pas convaincante.
Dans le reste du programme la dimension religieuse n’apparaît pas, sinon de manière quasi subliminale. Ainsi dans le thème quatre, est-il raisonnable de faire croire que le christianisme grec, l’orthodoxie et l’islam sont présents dans la questionl, De Constantinople à Istanbul un carrefour de civilisations, alors que les enseignants ne disposeront (selon les indications même du programme) que d’une heure pour traiter cette question ? Dans le même thème, il est possible d’étudier Luther, comme l’un des hommes de la Renaissance, mais la question n’est pas obligatoire ; si les enseignants choisissent de l’étudier, ils ne pourront guère y consacrer plus d’une heure. Enfin, il ne serait pas raisonnable de penser que les religions de la Chine seront abordées quand les professeurs évoqueront – en une heure là encore et s’ils choisissent cette question – Pékin au XVe-XVIe siècle… Pas plus qu’ils ne pourront, dans le même horaire, étudier les religions des Aztèques (et les problèmes de la christianisation) s’ils choisissent Tenochtitlan, la future Mexico.
Thème 5 :
On le constate, la moisson est maigre puisque le reste du programme n’invite à aucun moment à explorer la dimension religieuse. Ainsi, par exemple, de l’étude de la Révolution française qui est spécifiquement orientée autour de l’étude d’un « nouvel univers politique ».
- Thème 5, Révolutions, libertés, nations : il semble difficile de maintenir, pour l’étude de la Révolution française, un libellé qui ignore tout du religieux. L’affirmation de la liberté religieuse, la Constitution civile du clergé, la contre-révolution nourrie de la dissidence religieuse et enfin l’apaisement bonapartiste avec le Concordat seraient-ils des événements mineurs dans le processus révolutionnaire ?
Le programme donne ainsi de la dimension religieuse l’image la plus conformiste et la plus étroitement occidentale. Dans ce parcours qui traverse l’histoire du monde entre le début du peuplement de la terre et le milieu du XIXe siècle, les élèves retiendront l’idée simpliste que le religieux se limite au monde latin catholique et qu’il concerne exclusivement les campagnes de l’époque médiévale. Est-il raisonnable d’ignorer l’existence des polythéismes, de deux monothéismes sur trois et, dans le cadre du christianisme, de se limiter au catholicisme occidental et romain ? Dans ce domaine, le programme ne correspond guère à son titre qui annonce l’étude de « la diversité des mondes du passé ».
Anna Van den Kerchove, Institut européen en sciences des religions 10 juin 2012