Notes bibliographiques
Sommaire
Résumé
Henri Bresc envisage ici l’identité complexe des juifs de Sicile fondée, de la domination normande à la tutelle aragonaise et jusqu’à l’expulsion des juifs de l’île en 1493, sur la religion et le particularisme linguistique. Hormis les correspondances privées de la Geniza du Caire, les sources écrites sont principalement latines et notariales. L’originalité du judaïsme sicilien est analysée en quatre temps : « l’école », « la maison », « la place » et « l’assemblée ». Les juifs bénéficient d’un poids démographique remarquable (ils représentent près de 5% de la population totale de l’île). Ils se répartissent dans une quarantaine de villes et de bourgs, où ils jouissent de la pleine citoyenneté et de la protection royale. À la différence du judaïsme présent dans le reste de la Méditerranée latine, le judaïsme n’est pas, en Sicile, une religion « tolérée », mais bien une religion de l’État. Cette situation unique forme le cadre d’un mode de relations avec la « majorité enveloppante », riche en échanges et pauvre en tensions. Elle explique sans doute aussi que l’expulsion des juifs de l’île se soit déroulée avec une grande humanité. Décision espagnole, elle s’est faite contre l’avis des Siciliens.
Le judaïsme sicilien se distingue aussi par sa compacité. Jusqu’en 1493, la langue de l’écrit et du savoir reste l’arabe, tandis qu’il avait été abandonné par la majorité vers 1330. La survie de l’arabisme contribue ainsi à renforcer une carapace identitaire salutaire pour le judaïsme sicilien. La discipline religieuse est forte. L’interdiction du recours à l’usure décrétée par le rabbin Josep Abenafia en 1399 est par exemple respectée. L’obéissance aux rabbins, souvent acquis à la pensée de Maïmonide, n’exclut néanmoins pas les tensions et les débats au sein de la communauté, particulièrement aigus lors de la crise de 1474-1475. Ces clivages sont renforcés par des solidarités de classe qui transcendent la communauté. En effet, les particularismes forts ne sont pas incompatibles avec l’intégration économique, révélée par l’absence de fonction unique. Les juifs de Sicile sont des artisans et des marchands sans monopole, qui partagent des spécialités avec la majorité chrétienne. « Dans les pores de la production » (Karl Marx), ils ont pour fonction principale de favoriser cette dernière, d’en fournir les financements et de faire circuler les techniques. Ils pénètrent aussi la sphère de la fabrication et ne jouent donc pas exclusivement un rôle d’intermédiaires.
Points forts
-
L’historiographie traditionnelle soulignait la pauvreté matérielle et intellectuelle, voire la saleté, des juifs de Sicile au Moyen Âge. Ce point de vue, considéré par l’auteur comme symptomatique du mépris des juifs européens à l’égard des juifs maghrébins, a été définitivement révisé. Au contraire, le patrimoine est conçu comme l’un des atouts économiques des juifs de Sicile. Quant au savoir, il est essentiellement technique (palmeraie, plantations de henné et d’indigo, production et commerce de l’huile d’olive, du cuir et du fer, fonte du métal et artillerie, horticulture, plantation de canne à sucre et raffinerie, taille et polissage du corail).
-
L’auteur révèle un modèle original de pérennité du judaïsme en monde latin, fondé sur une cohésion religieuse forte. La force de conviction engendre même la conversion au judaïsme de captifs musulmans. L’intégration d’esclaves dans le milieu juif contribue à le renforcer, tandis que les mouvements de conversion inverses sont ponctuels et n’engendrent pas d’hémorragie. Les juifs de Sicile, ne craignant pas la confusion des apparences avec la majorité chrétienne, s’ouvrent à l’influence de l’environnement latin dans les domaines de l’habitat et du vêtement.
-
Enfin, l’auteur souligne la position des juifs de Sicile qui rappelle celle de la chevalerie. Comme les chevaliers, les juifs sont tenus au service. Ils se rapprochent de la noblesse par le savoir et le service fiscal notamment. Ils peuvent exceptionnellement accéder au doctorat qui implique les attributs de la chevalerie. La noblesse parmi les juifs se fondant sur le sang, la richesse et les privilèges qui assurent la dignité, la conversion au christianisme engendre une assimilation instantanée à la noblesse.
JS
Domaines religieux : Judaïsme
Guide des ressources : Recherche : Ouvrages
Référence du document
Recension : « Bresc Henri, Sibon Juliette, BRESC Henri, Arabes de langue, juifs de religion. L’évolution du judaïsme sicilien dans l’environnement latin (XIIe-XVe siècles), Paris, Bouchène, 2001, 349 p. » 2009, , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/bresc-henri-arabes-langue-juifs-religion-levolution