Sommaire
Résumé
L’ouvrage reprend des conférences prononcées, entre 1963 et 1966, dans le cadre des Colloques des intellectuels juifs de langue française. Les passages talmudiques commentés dans ces Lectures sont tous issus du Talmud de Babylone et de la Haggadah. Il s’agit, pour Levinas, de dégager les vues universelles contenues dans l’apparent particularisme de ce qu’on appelle « l’histoire nationale d’Israël ».
La première lecture s’intitule « Envers autrui » et porte sur un extrait du traité « Yoma » (85a-85b). Elle a été prononcée dans un colloque consacré au « Pardon ». Dans le passage commenté, il est question du Jour du Pardon et de la distinction entre les « fautes à l’égard de Dieu », pour lesquelles le pardon ne dépend que de la pénitence, et les « fautes à l’égard du prochain ». Ces deux dimensions entrent dans un rapport dialectique, celle du collectif et celle de l’intime. Le texte de la Guémara fait intervenir d’autres aspects. D’abord l’idée suivant laquelle l’accord avec Dieu ne peut se jouer que dans le privé de l’intériorité de l’individu, puis la question de l’essence de la parole : selon le commentaire de Levinas sur la Guémara, la parole ne consiste pas à désigner un objet pour communiquer avec autrui, mais à assumer pour quelqu’un une responsabilité auprès de quelqu’un. Dans la conclusion, Levinas rapporte son commentaire à la question des relations avec l’Allemagne et les Allemands, thème central du colloque.
La seconde lecture s’intitule « La tentation de la tentation » et porte sur un texte du traité « Chabat » (88a et 88b). Elle a été prononcée dans le cadre d’un colloque consacré aux « Tentations du judaïsme ». La tentation de la tentation décrit peut-être, selon Levinas, la condition de l’homme occidental. La philosophie peut se définir comme une subordination de tout acte au savoir que l’on peut avoir de cet acte : l’acte ne surgira désormais qu’après calcul, pesée du pour et du contre, impliquant une méconnaissance d’autrui comme autrui, comme étranger à tout calcul, comme prochain et premier venu. Une autre voie d’action est pourtant envisageable et Levinas l’explore à travers un commentaire du passage talmudique qui se rapporte au don de la Torah dans l’Exode. Le texte fixe la relation entre l’être et le connaître autrement que ne le fait la philosophie. Le don de la Torah a un caractère exceptionnel : on l’accepte avant de la connaître. Cette inversion de la chronologie normale de l’acceptation et de la connaissance indique, pour Levinas, un dépassement du savoir – un dépassement de la tentation de la tentation : la conscience n’est pas coïncidence avec soi-même, certitude de soi, éternel retour sur soi, mais plutôt urgence d’une destination menant à autrui. La Torah est un ordre auquel le moi tient, sans qu’il ait eu à y entrer, un ordre qui se situe au-delà de l’être et du choix, l’ordre de la responsabilité. Être moi, conclut Levinas, c’est être responsable au-delà de ce qu’on avait commis.
La troisième lecture s’intitule « Terre promise ou terre permise ». Il s’agit du commentaire d’un extrait du traité talmudique « Sota » (34b-35a) prononcé dans le cadre d’un colloque consacré à Israël. Le texte porte sur l’épisode biblique des explorateurs. Sur les douze explorateurs, les dix qui, à leur retour, déclarent que la terre promise à Israël est une terre où Israël ne pourra ni entrer ni vivre, meurent d’une maladie étrange. Dans son commentaire, Levinas part de l’idée selon laquelle la Terre promise ne serait pas permise pour interpréter l’ensemble de l’épisode, jusqu’à la mort des explorateurs. Sur ce châtiment de mort, on peut donner deux interprétations en fonction de la double manière dont on peut expliquer leur faute : le crime des explorateurs a-t-il consisté à avoir été trop purs et à avoir pensé qu’ils n’avaient pas de droits sur cette terre ? Ou bien ont-ils reculé devant un projet qui leur semblait utopique, irréalisable ? Pensaient-ils que leur droit manquait de force, ou qu’ils n’avaient pas de droits, que la Terre promise ne leur était pas permise ?
La quatrième lecture s’intitule « Vieux comme le monde ». Elle porte sur un extrait du traité « Sanhédrin » (36b-37a). Elle a été prononcée dans le cadre du colloque « Le judaïsme est-il nécessaire au monde ? ». Le passage traite de l’organisation du Sanhédrin, tribunal suprême. C’est à travers cette organisation que la tradition juive pense en effet l’institution de la justice. La tradition rapproche la description du Sanhédrin d’un passage du Cantique des cantiques que Levinas à son tour commente. Puis, à partir du passage biblique sur Jacob et Esaü, il poursuit par une réflexion sur l’altérité : l’ultime intimité de moi à moi-même consiste à être à tout moment responsable pour les autres. Pour que le monde humain – la justice, le Sanhédrin – soit possible, il faut qu’à tout moment se trouve quelqu’un qui puisse être responsable pour les autres.
Points forts
-
L’approche nouvelle des textes bibliques et talmudiques.
-
La rencontre entre les sources juives et la tradition philosophique occidentale.
-
Une lecture des textes de la tradition juive qui met en lumière leur actualité.
SN
Référence du document
Recension : « Nordmann Sophie, Levinas Emmanuel, LEVINAS Emmanuel, Quatre lectures talmudiques, Paris, Éditions de Minuit (rééd.), 2005, 186 p. » 2009, , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/levinas-emmanuel-quatre-lectures-talmudiques-paris