SHAPIRA Anita, L'Imaginaire d'Israël. Histoire d'une culture politique, trad. de l'hébreu par Sylvie Cohen, Paris, Calmann-Levy, 2005, 370 p.
Sommaire
Résumé
Recueil d'articles, L'Imaginaire d'Israël est présenté par son préfacier Maurice Kriegel comme une histoire culturelle de la construction israélienne.
La renaissance de la nation juive supposait la création d'un Juif nouveau. Pourtant, le chemin menant au sabra et à l'Israélien fut loin d'être linéaire, tant les projets initiaux abondaient. L’auteur en distingue quatre. Le premier modèle est associé à l'univers intellectuel d’Ahad Ha-Am. Selon ce dernier, le Juif nouveau devait être laïc, lettré, profondément imprégné de culture juive, mais débarrassé des scories du judaïsme religieux traditionnel. Ahad Ha-Am souhaitait que le judaïsme s'accroche à sa singularité plutôt qu'il ne s'adapte au monde environnant.
Le modèle « herzlien » de nouveau Juif était lui profondément lié à la culture européenne de la fin du XIXe siècle. La renaissance d'une dignité nationale collective juive était un préalable à toute réalisation culturelle. Le Juif nouveau serait respectable parce qu'il apparaîtrait comme l'immanence d'une nation à l'égal des plus grandes.
Alors que les deux premiers modèles avaient en commun l'idée d'une restauration du judaïsme dans un sens spirituel ou national, le troisième modèle inspiré de Nietzsche aspirait à délivrer les Juifs du judaïsme. Son principal instigateur, Berditchevsky, ne cachait pas sa volonté de détruire le vieux sanctuaire pour en ériger un autre. Individualiste et vitaliste, le modèle nietzschéen du Juif nouveau n'en inspira pas moins le quatrième modèle, socialiste.
Ce dernier accorda d'emblée une importance capitale à l'éducation et au travail. Il luttait autant contre l'idéal individualiste de Berditchevsky que contre les influences culturelles et bourgeoises européennes, symbolisées par Ahad Ha-Am et Herzl.
Si ces modèles partageaient un certain nombre de points communs, rejet de la tradition et de la religion, amour de soi et de son peuple, ils divergeaient sur trois points essentiels : le rapport à la diaspora, la relation à l'autre, notamment l’européen, et le lien avec l'éthique, en particulier juive. Si le modèle socialiste semble s'imposer dans la pratique en Palestine, il ne l'emporte pas réellement et la création du Juif nouveau fut davantage le fruit des contingences locales et internationales que le résultat d'un modèle fixiste préétabli.
La construction d'Israël est liée, dans la mémoire populaire comme dans l'historiographie classique, au socialisme. Si l'évidence de ce lien a été largement remise en question depuis les années 1980 au profit d'une approche soulignant la dépendance du socialisme aux dogmes du nationalisme, la fascination des premiers dirigeants de la communauté juive pour le socialisme, la révolution russe et dans une moindre mesure l'URSS, est manifeste. L’auteut étudie plus précisément le parcours de trois dirigeants : Berl Katznelson, Yitzhak Tabenkin et David Ben Gourion. Si les trois dirigeants n'échappèrent pas au regain de popularité de l'URSS auprès de la communauté juive palestinienne au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils s'éloignèrent néanmoins peu à peu du socialisme marxiste pour ne conserver que ce qui servait la révolution nationale juive.
Les liens de David Ben Gourion avec la Bible furent complexes et passionnants. Ils déterminèrent largement sa vision de l'histoire et du roman national. Bien qu'il ait reçu une éducation religieuse, David Ben Gourion n'avait aucune approche religieuse de la Bible. Il était ainsi le digne représentant de l'impact des Lumières juives, en ceci qu'il honnissait le Talmud et ne se servait de la Bible que pour exalter un certain romantisme national.
Ben Gourion est souvent associé à l'idée que le récit biblique justifie l'implantation juive en Palestine. En 1937, devant la commission Peel chargée de partager la Palestine, il affirma en effet : « La Bible est notre mandat ». Or, c'est un Ben Gourion déjà vieillissant qui défendait de telles thèses. À l'époque du mandat britannique, il s'appuyait davantage sur les concepts de travail et de création, seuls à même de justifier l'acquisition d'une terre à un peuple.
Après la création de l’État d'Israël, Ben Gourion fut gagné par la folie archéologique et bibliste qui s'empara des élites. Il fallait retrouver les traces de l'ancienne gloire juive en Palestine. C'est à cette époque que, parallèlement, la doxa sioniste – et Ben Gourion en fut à ce titre le premier promoteur – en vint à dénier l'existence d'une histoire juive en diaspora.
À mesure que la pression socialiste sur la société israélienne s'amoindrissait, la mémoire de la Shoah en vint à prendre une place prépondérante. L'arrivée des rescapés au moment de la création de l'État n'eut pas plus d'impact mémoriel sur la société israélienne qu'ailleurs en Europe. Les survivants n'étaient pas encore en mesure d'exprimer toute l'horreur de ce qu'ils avaient vécu et, de surcroît, si les résistants juifs étaient appréciés pour leur pugnacité, la grande masse des rescapés était honnie car ils symbolisaient le Juif diasporique dans toute sa faiblesse.
Plusieurs dates ont été proposées pour marquer l'entrée de la mémoire de la Shoah dans la conscience collective israélienne : le procès Eichmann, la guerre des Six-Jours, celle du Kippour ou encore la victoire du Likoud aux élections de 1977. Toutes apparaissent comme des éléments déterminants. La Shoah n'était toutefois pas absente de la vie israélienne au préalable, en témoignent les lois sur les réparations allemandes ou la création de Yad Vashem au cours des années 1950.
Points forts
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L’ouvrage comprend un certain nombre d’études essentielles pour comprendre l’histoire du sionisme et d’Israël.
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Ouvrage éclectique, à même de satisfaire toutes les curiosités.
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Sa qualité de recueil d’articles le rend néanmoins difficile d’accès à toute personne cherchant une introduction à l’histoire culturelle et politique d’Israël.
V.V.
Domaines religieux : Judaïsme
Guide des ressources :
Référence du document
Recension : « Shapira Anita, L'Imaginaire d'Israël. Histoire d'une culture politique » Paris, Calmann-Levy, 2009, 370 p., , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/limaginaire-disrael-histoire-dune-culture-politique