Notes bibliographiques, Annexes
Sommaire
Résumé
À partir de l’analyse du procès qui a opposé le prêteur juif Bondavin de Draguignan à l’un de ses débiteurs chrétiens à Marseille en 1317, l’auteur saisit le rôle du crédit juif, ainsi que l’image des financiers juifs dans le grand port du comté de Provence alors dominé par les Angevins. Les deux premiers chapitres de l’ouvrage s’attachent à cerner le véritable enjeu du litige et le statut socioéconomique des deux adversaires. Bondavin, qui a préféré le procès à un arrangement à l’amiable, réclame le remboursement d’une créance à un débiteur qui affirme s’en être déjà acquitté. Or, pour le juif, il ne s’agit pas tant de récupérer la somme d’argent que de défendre sa fama, à savoir sa réputation et son honneur. Bondavin est sans doute le juif marseillais le plus riche de sa communauté et se prévaut d’une clientèle nombreuse issue de toutes les couches de la société majoritaire. Les deux chapitres suivants inscrivent le cas de Bondavin dans un contexte élargi à l’échelle de l’Europe médiévale. Le chapitre 3 envisage la position doctrinale et législative de l’Église à propos de l’usure, ainsi que la politique des princes à l’encontre des usuriers juifs. Quant au chapitre 4, il décrit le recours au crédit, habituel et universel, d’hommes médiévaux sereins devant l’endettement. La démarche aboutit à revenir au cas de Bondavin (chapitre 5), archétype de l’anti-Shylock dont l’honnêteté et l’utilité sociale sont louées par les dizaines de témoins chrétiens qui se mobilisent en sa faveur. Ces défenseurs sont tous issus des couches supérieures de la société marseillaise – marchands, hommes de loi, artisans –, notamment de la noblesse urbaine détentrice du pouvoir municipal.
Points forts
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Shylock revu et corrigé fait date dans l’historiographie des juifs au bas Moyen Âge. L’auteur éclaire, de manière inédite, les attitudes dominantes en Europe médiévale à l’égard du crédit juif d’une part et de l’endettement en général d’autre part. Il offre ainsi de nouvelles perspectives au champ de l’histoire économique médiévale, à l’étude des pratiques économiques en matière de crédit, comme à celle de la pensée économique de l’Occident médiéval.
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La thèse centrale contribue au renouvellement de la perception de la condition des juifs en chrétienté médiévale. Pour la première fois, l’auteur met au jour une image positive du prêteur juif. Il nuance le mythe de Shylock, usurier sans vergogne campé par William Shakespeare dans Le Marchand de Venise (1605), en montrant qu’à Marseille dans le premier quart du xive siècle, le prêteur juif était digne de foi et bénéficiait de la confiance et de l’amitié des élites de la société majoritaire, prêtes à témoigner de son honnêteté et de sa bonne foi devant la Cour de justice angevine.
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L’auteur apporte un contre-exemple convaincant à une conception téléologique de l’histoire des juifs selon laquelle leur condition se serait dégradée de manière croissante et générale en Occident médiéval, entre le milieu du xiiie siècle et les grandes expulsions de la fin du Moyen Âge. Il prouve de manière rigoureuse et stimulante que le destin des juifs médiévaux en chrétienté latine ne fut ni uniforme, ni linéaire.
J.S.
Référence du document
Recension : « Sibon Juliette, Shatzmiller Joseph, SHATZMILLER Joseph, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d’argent dans la société médiévale, Paris, Les Belles Lettres, 2000, 327 p. » 2009, , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/shatzmiller-joseph-shylock-revu-corrige-juifs