Sommaire

Résumé

Cet ouvrage ne s’ouvre pas sur une introduction, mais sur un Argument exposant « l’hypothèse initiale » que le lecteur est invité à « tester sur pièces, à travers l’examen de six dossiers » (p. 5). L’auteur entend s’inscrire en faux contre une vision élaborée au XIX^e siècle mais encore présente dans l’historiographie française de ces dernières décennies, qui présente la société de l’époque dite « féodale » comme caractérisée par une violence, matrice d’anarchie, que l’Église se serait efforcée d’endiguer avec succès en préparant le renouveau de l’autorité royale. En fait, sans nier bien évidemment l’existence d’une réelle dureté sociale, il s’agit de montrer que le jeu du pouvoir était beaucoup plus subtil et qu’il était fondé sans doute davantage sur la connivence que sur la concurrence entre chevaliers et moines. Ainsi la violence affichée, comme preuve de bravoure et d’honneur, s’effaçait-elle devant les recours au sacré, qui, sous forme de miracles et d’exorcismes, permettaient le retour à la paix ou l’évitement de la guerre. Dans cette optique, les récits ont, en eux-mêmes, une efficacité, puisqu’ils ressortissent à de véritables manœuvres sociales unissant guerriers et saints, via les clercs, afin de maintenir l’ordre en place. C’est ce que montrent d’abord l’étude des Annales de Flodoard de Reims et de l’Histoire de Richer de Reims, dont l’auteur entreprend une relecture appuyée sur l’anthropologie (chap. 1), puis celle de quatre récits ou sources relevant de l’hagiographie (chap. 2-4) : dans l’Aquitaine du même X^e siècle, la Vie de saint Géraud, « prototype du chevalier généreux » (p. 47) forgé par Odon de Cluny, et le Livre des miracles de sainte Foy de Conques, « merveilleuse apparition dans les nuits d’angoisse et d’espoir » (p. 113) ; le recueil des Miracles de saint Benoît, moins attrayant de prime abord mais invitant pareillement à « dépasser les apparences de pure violence et de primitivité qu’offre la société de l’an mil » (p. 115) ; la Vie de saint Arnoul, chevalier devenu moine, exorciste et pacificateur de la seconde moitié du XI^e siècle. Le chapitre suivant est consacré aux notices d’ordalies angevines, qui se multiplièrent dans la seconde moitié du XI^e siècle avant de s’effacer passé 1100, en lien avec l’œuvre de clercs intellectuels engagés dans le chantier de la Réforme grégorienne (chap. 5). Enfin, l’ouvrage se clôt sur l’étude de la Vie de Louis VI le Gros, écrite par l’abbé Suger de Saint-Denis vers 1144, chronique des campagnes de ce roi en un temps où s’annonçaient des modes de gouvernement plus bureaucratiques et où la chevalerie consistait désormais « surtout en une culture et un comportement de cour » (p. 290).

Points forts

• Un style clair et vigoureux, sans détours, au service d’un traitement exemplaire des sources — soumises à un véritable travail de déconstruction des stratégies discursives et rendues accessibles par la traduction de certains passages-clefs.

• Un usage maîtrisé de l’anthropologie, depuis les travaux classiques d’Evans-Pritchard (Les Nuer, 1937, trad. fr. 1968) jusqu’aux études plus spécialisées de l’anthropologie de la vengeance privée.

• Le chapitre 5 (« Le bon usage des jugements de Dieu »), dans lequel DB met en évidence un phénomène important intervenu entre 1060 et 1120 : la « mutation de l’an 1100 », qui est à ses yeux une « vraie mutation sociale » à la différence de la fameuse « mutation de l’an mil » décrite par l’historiographie française depuis cinquante ans.

L.V.