Préface et annotations de Jacques Rolland
Sommaire
Résumé
Paru initialement dans les Recherches philosophiques, cet article de Levinas s’ouvre sur « l’antique problème de l’être en tant qu’être ». L’auteur part de la tautologie selon laquelle « l’être est », tautologie qui renvoie à une parfaite autosuffisance de l’être, au fait brut de ce que Levinas nomme l’« il y a » : l’être est ce à quoi l’on ne peut pas échapper puisqu’il nous envahit de toutes parts.
Levinas rapporte la honte à ce « sentiment aigu d’être rivé », dans la mesure où elle consiste « dans l’impossibilité où nous sommes de ne pas nous identifier avec cet être qui déjà nous est étranger et dont nous ne pouvons plus comprendre les motifs d’action ». La honte renvoie à notre incapacité de rompre avec nous-même, à l’impossibilité de se fuir, à la « présence irrémissible du moi à soi-même ».
Il existe un cas dans lequel la nature de ce malaise apparaît dans toute sa pureté : c’est la nausée. Ainsi en est-il de l’expression « avoir mal au cœur » : peu importe le viscère effectivement en cause, c’est le cœur, c’est-à-dire le fond de nous-mêmes, qui est atteint. Dans la nausée, on est rivé à soi-même ; la nausée renvoie à l’expérience de l’être pur. L’état nauséabond qui précède le vomissement et dont ce dernier va nous délivrer « nous enferme de partout, de l’intérieur ». Cette « présence révoltante de nous-mêmes à nous-mêmes », considérée à l’instant où elle est vécue et dans l’atmosphère qui l’entoure, « apparaît comme insurmontable ». Or, cet « il n’y a plus rien à faire » est la marque d’une situation-limite : l’expérience de l’être pur est en même temps l’expérience de l’évasion qui s’impose. Il y a dans la nausée un refus d’y demeurer, un effort pour en sortir. Mais cet effort est déjà caractérisé comme désespéré. Et ce désespoir, le fait d’être rivé, constitue toute l’angoisse de la nausée. Ainsi, l’évasion est conçue comme « le besoin de sortir de soi-même, c’est-à-dire de briser l’enchaînement le plus radical, le plus irrémissible, le fait que le moi est soi-même ».
Cependant, Levinas n’explique pas, en 1935, comment cette sortie, cette évasion, peut être possible. La seule modalité de desserrement de l’étau, le plaisir, se révèle incapable d’accomplir ce qu’elle devait permettre et semblait promettre. Le plaisir contient bien une « promesse d’évasion », de sortie de soi, d’extase, mais cette promesse est fallacieuse : c’est une « évasion trompeuse », dans la mesure où c’est une évasion qui échoue. Le plaisir « se brise justement à l’instant où il semble sortir absolument ».
Dans cet ouvrage, Levinas ne va donc pas au-delà de la position du pur besoin de sortie. C’est à cette même sortie qu’il rapporte les aspirations de l’idéalisme : dans son inspiration première, l’idéalisme philosophique cherche à dépasser l’être. Cette inspiration, il faut la rependre à nouveaux frais : il s’agirait de « sortir de l’être par une nouvelle voie au risque de renverser certaines notions qui au sens commun et à la sagesse des nations semblent les plus évidentes ». C’est tout le programme de la philosophie de Levinas qui se trouve esquissé dans cet impératif de pensée.
Points forts
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Un article de jeunesse de Levinas, qui permet de comprendre la genèse de sa pensée.
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Un texte court et relativement accessible à un public large.
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Une préface et des annotations extrêmement éclairantes de Jacques Rolland, grand spécialiste de la pensée de Levinas.
S.N.
Référence du document
Recension : « Nordmann Sophie, Levinas Emmanuel, LEVINAS Emmanuel, De l’évasion, Paris, Le Livre de poche, rééd. 1998 (1935), 157 p. » 2009, , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/levinas-emmanuel-levasion-paris-livre-poche-reed