Programme Histoire 6e
histoire
Sommaire
Présentation du sujet
Problématique
La recherche actuelle sur les quatre premiers siècles du christianisme et sur le judaïsme à la même époque est en plein renouvellement, avec de nouvelles problématiques et de nouveaux concepts. Deux d’entre eux sont importants à prendre en compte pour aborder le chapitre d’histoire de 6e : la porosité des frontières entre judaïsme et christianisme ; la pluralité des judaïsmes après la destruction du second temple de Jérusalem en 70. Les chercheurs considèrent de plus en plus que la distinction religieuse entre judaïsme et christianisme est plus tardive qu’on ne l’a pensé jusque là.
Ainsi, étudier les débuts du christianisme c’est poser principalement deux questions liées l’une à l’autre :
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1) celle de l’élaboration, sur le plan religieux, d’un nouveau groupe qui apparaît au sein du judaïsme et qui s’en distingue peu à peu pour devenir au cours des IIIe et IVe siècles une religion indépendante;
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2) celle des rapports de ce groupe, aux autres juifs (pharisiens, esséniens, sadducéens, puis rabbins, judaïsme synagogal) d’une part, aux populations adeptes des cultes traditionnels et au pouvoir romain, d’autre part.
Il s’agit donc, dans ce chapitre, de bien faire comprendre la complexité des débuts d’une nouvelle religion et la diversité des sensibilités qui sont présentes dans cette religion dès le début.
Les chrétiens : de nouveaux groupes religieux
Les lettres du juif hellénisé Paul sont les plus anciens documents écrits qui attestent l’existence au sein du judaïsme de nouveaux groupes religieux se référant à Jésus, appelé aussi Christ. Ces groupes s’organisent et s’affirment peu à peu, d’une part sur les plans religieux et sociaux, d’autre part par rapport aux autres groupes juifs et aux « polythéistes ». Cette organisation et cette affirmation s’étendent au-delà de la période étudiée en 6e ; toutefois, leurs bases sont élaborées au cours de ces quatre siècles, autour des points suivants : personnages, rites, croyances, structure d’une communauté, écrits.
Personnages
Un chrétien, par sa dénomination même, est défini puis se définit comme un disciple de Jésus Christ. Si Jésus ne peut être considéré comme fondateur historique (au sens où son intention n’était pas de fonder une nouvelle religion, mais de rester au sein du judaïsme qu’il appelait à réformer), il est le fondement de la foi des chrétiens. En effet, ce personnage historique, sage juif et prédicateur itinérant, est dès sa mort l’objet d’une relecture et d’une réinterprétation en tant que Christ. Ce Jésus Christ devient dans les années postérieures à sa mort le point de référence de groupes religieux qui adhèrent à son message, et qui s’appellent eux-mêmes : les « chrétiens ».
Un deuxième personnage historique joue un rôle très important : celui de Paul. Comme les autres missionnaires chrétiens, Paul a beaucoup voyagé dans l’empire romain afin de répandre le message de Jésus. Cependant, alors que l’action de la plupart des premiers missionnaires est restée dans l’ombre, par manque de sources, l’action de Paul est mieux connue, grâce aux lettres qu’il a écrites pour les communautés qu’il a fondées ou visitées. S’il est difficile de parler de lui comme du véritable fondateur du christianisme, son action a été essentielle en tant que passeur de culture ; il a en effet très largement contribué à faire connaître le message de Jésus à des populations non juives. Si la présence de ses épîtres dans le canon, fixé à la fin du IVe siècle, atteste du rôle que les chrétiens lui reconnaissent, Paul a cependant été un personnage assez controversé durant les premiers siècles, certaines des communautés chrétiennes n’ayant pas hésité à critiquer ses idées et son interprétation du message.
D’autres personnages sont aussi importants à considérer au cours des quatre premiers siècles. Parmi eux, ceux que les chrétiens considèrent comme des martyrs (ce qui veut dire « témoins » en grec), suite au témoignage qu’ils ont fait de leur foi au moment des persécutions contre les chrétiens. Entre le IIeet le IVe siècle, ils sont devenus les premiers saints chrétiens et ils ont fait l’objet d’un culte et de récits hagiographiques qui n’hésitaient pas à théâtraliser leur martyre afin d’inciter à la conversion ou d’affermir la foi de l’auditoire / du lectorat. À une époque où les chrétiens étaient encore peu visibles (vu leur nombre et l’absence de lieux de culte spécifiques), les martyres et les récits leur permettaient d’accéder à une certaine notoriété.
Croyances
Les premiers chrétiens, qui sont, pour la plupart, aussi des juifs, se sont regroupés autour de quelques croyances communes : outre l’unicité de la divinité, ils croyaient en la messianité de Jésus et en sa résurrection (qui attestait d’ailleurs pour eux de sa messianité).
À partir du IIe siècle, une réflexion proprement théologique et christologique s’est développée, notamment en relation avec la nature de Jésus, un homme né d’une femme et considéré comme fils de Dieu. Cette réflexion s’est encore affinée et a rapidement donné lieu à des polémiques entre les chrétiens, parfois assez virulentes. Aux IVe et Ve siècles, alors que le christianisme est progressivement devenu une religion autorisée puis une religion officielle, des querelles christologiques et théologiques se sont développées autour de la relation du Fils au Père et de la nature du Fils. Des conciles œcuméniques (réunions de ministres de l’Église pour définir le dogme et légiférer en matière disciplinaire ; elles sont œcuméniques quand elles rassemblent des ministres venant de la plupart des communautés chrétiennes) se sont alors réunis, avec l’appui politique des empereurs qui pensaient que les querelles pouvaient mettre en danger l’unité de l’empire). Ces conciles ont élaboré un contenu de croyances, un credo (« je crois » en latin) et des dogmes qui ont constitué la base doctrinale reconnue par les grandes familles chrétiennes jusqu’à aujourd’hui.
Au IVe siècle, deux conciles (Nicée en 325 et Constantinople en 381 ont ainsi élaboré le credo, avec deux affirmations majeures : le Fils est de même nature que le Père et donc vrai Dieu et celle de la Trinité (Père - Fils - Saint Esprit) et au Ve siècle, deux autres conciles (Éphèse en 431 et Chalcédoine en 451) ont affirmé que le Fils est à la fois fils de Dieu et fils de Marie, elle-même qualifiée de "Mère de Dieu" (Théotokos, en grec).
Rites
Ils partageaient également quelques rites : prières (dont le Notre Père), lecture / audition de textes reconnus par la communauté. Il y avait aussi des sacrements, c’est-à-dire des « signes visibles de la grâce » selon les termes mêmes d’Augustin. Les plus anciens sacrements ont trouvé leur prototype dans les évangiles qui sont devenus canoniques, à savoir l’eucharistie (cf. le récit du dernier repas de Jésus, que l’eucharistie commémore) et le baptême (cf. le récit du baptême, de repentance, de Jésus par Jean, mais le baptême chrétien s’en distingue sur un point : il se fait au nom de Jésus et ce n’est pas le baptême qui sauve mais Jésus Christ). À partir de la fin du Ier siècle, des textes ont mentionné les rites de la pénitence et de l’ordination. C’est au cours des siècles suivants que les autres sacrements sont apparus ; la liste de sept sacrements a été officiellement arrêtée lors du deuxième concile de Lyon, en 1274, au moins en ce qui concerne le christianisme latin.
N’ayant pas le droit à l’association cultuelle, c’est-à-dire de s’associer pour pratiquer librement leur culte, les chrétiens n’avaient pas, au tout début, de lieux de culte spécifiques. Ils accomplissaient donc leurs rites dans une pièce d’une maison privée, prêtée par l’un ou l’autre des membres. Il y a là un changement de paradigme par rapport à l’accomplissement des rites, et notamment du sacrifice, qui étaient, à l’époque, toujours publics : ces derniers étaient accomplis à l’extérieur des temples (grecs, latins, égyptiens et juif) ; alors que les rites chrétiens s’accomplissaient à l’intérieur du lieu / de la pièce du culte.
Écrits
Environ deux générations après la mort de Jésus, les traditions orales rapportant les actes et les paroles de Jésus ont été mises par écrit, dans l’optique principale de lutter contre l'oubli. Cette première époque de rédaction a donné lieu à quatre évangiles, écrits pour des communautés différentes (ce qui explique des différences et même parfois des divergences entre les évangiles sur certains points). Simultanément ou successivement, d’autres textes (d’autres évangiles), ont été mis par écrits, témoins de traditions orales différentes, mais aussi des textes doctrinaux, des écrits de défense ou d’apologie, ou des recueils édictant certaines règles particulières.
À partir de la seconde moitié du IIe siècle, des chrétiens ont commencé à opérer un tri. Cela a donné lieu à des conflits. Ainsi, certains chrétiens, comme Marcion, rejetaient une grande partie des écrits, notamment parce qu’ils paraissaient trop proches du judaïsme selon eux. D’autres prenaient en compte deux critères : l’ancienneté / la proximité avec les origines, ou la fidélité à la tradition apostolique. Ce tri a abouti, au cours du IVe siècle, à la distinction entre trois types d’écrits : d’un côté, les écrits « canoniques » (textes écrits par des hommes qui auraient été inspirés par l’Esprit divin) ; les écrits non inspirés mais honorables (écrits de défense, d’organisation des communautés, etc.) ; des écrits rejetés comme déviants, les « apocryphes », dont certains ont toutefois eu une grande influence sur la tradition chrétienne (voir la fiche sur Jésus à propos, par exemple, de la représentation de la naissance de Jésus).
Organisation communautaire
Les chrétiens, bien qu’ils n’aient pas reçu le droit d’association, à l’inverse d’autres groupes religieux comme les juifs non chrétiens, se sont peu à peu organisés en communautés, avec leurs rites, leurs croyances et leur propre structure de fonctionnement.
Ces communautés, attestées rapidement dans l’histoire, grâce au témoignage des lettres de Paul, ont été, au départ, dirigées collégialement: les episcopoi (surveillants), les diakonoi (serviteurs) et les presbyteroi (anciens). À partir du IIe siècle, elles ont progressivement été chapeautées par un unique évêque, considéré alors comme le successeur des apôtres. Au IIIe siècle, la hiérarchie tripartite s’est ensuite affirmée : évêque, diacre et prêtre (nouveau sens de episcopos, diakonos et presbyteros), avec une première distinction faite alors entre clercs et laïcs.
Ces communautés pratiquaient l’entraide, déjà évoquée dans les lettres de Paul, mais ce n’est qu’à partir de la fin du IIe siècle que s’est mise en place l’organisation communautaire d'une assistance aux pauvres et aux veuves.
Des chrétiens plus nombreux
Il est difficile, voire impossible, de quantifier le nombre de chrétiens aux différentes époques considérées ; certains chercheurs s’y sont cependant essayés, mais les résultats sont toujours à prendre avec précaution. En effet, le nombre de chrétiens variait selon les lieux, et les communautés étaient parfois divisées en plusieurs courants. Tout au long de la période étudiée, les chrétiens sont en tout cas restés minoritaires, même si leur nombre a augmenté. Des contemporains non chrétiens ont pris conscience de cette augmentation et la voyaient d’un mauvais œil ; ainsi le philosophe néoplatonicien Porphyre (234-305 ?) écrivait : « on s’étonne que la ville [Rome / l’empire romain] soit depuis tant d’années en proie à ce fléau » (Contre les chrétiens 80, cité par Eusèbe, Préparation évangélique V 1, 10).
Le nombre de chrétiens s’accroissait en fonction de la démographie naturelle et des conversions qui restaient néanmoins peu nombreuses. Devenir chrétien, après avoir été adepte des cultes traditionnels, impliquait non seulement un changement radical dans le mode de vie, mais aussi une mise à l’écart de la société civique.
Les chrétiens et les juifs
Jésus était juif, les premiers (groupes) chrétiens étaient un groupe de juifs qui se distinguait des autres juifs par la croyance en la messianité de Jésus. Pendant longtemps, les chrétiens d’origine juive ont été plus nombreux que les chrétiens d’origine polythéiste. La distinction qui conduisit à deux religions différentes a été progressive et a suivi une chronologie différente, inégale selon les régions. Elle s’est principalement faite autour de différences quant à l’observance de la Torah et à son interprétation (notamment sur la messianité). Les différends sont apparus dès la mort de Jésus ; un débat s’est alors élevé dans la communauté des disciples de Jésus à Jérusalem entre les disciples juifs de culture grecque et les autres, autour de l’opportunité de faire des missions auprès des populations non juives. Plus tard, Paul, juif de culture grecque, a participé au débat sur l’obligation, ou non, pour les non juifs d’observer les lois juives (notamment celle de la circoncision) avant de devenir disciple de Jésus. Paul a opté pour une réponse négative : le salut devait s’accomplir par la foi en Christ et non par l’œuvre de la Loi ni par la circoncision (qu’il a contribué à spiritualiser).
Deux événements ont accentué cette distinction: les deux révoltes juives contre le pouvoir romain en Judée, en 66 puis en 135. À l’issue de la révolte de 135, la communauté chrétienne d'origine judéenne a semble-t-il disparu de Jérusalem et a été remplacée par une communauté d'origine grecque qui se démarquait des juifs afin d’être être autorisée à demeurer dans la ville.
Cependant, et au moins jusqu’au IVe siècle, des groupes juifs croyant en la messianité de Jésus ont continué d’exister ; ils étaient alors rejetés aussi bien par les chrétiens que par les juifs.
Malgré la distinction progressive, les chrétiens ont eu conscience de se situer dans la filiation du judaïsme. Face aux polémistes grecs et latins, ils revendiquaient Moïse comme source ancienne de sagesse. Ils acceptaient des écrits juifs dans leur traduction grecque (la Septante) ; ils les incluaient dans leur propre canon en cours d’élaboration, mais en changeaient le sens en les réinterprétant à la lumière des événements de la vie de Jésus, selon une lecture typologique (les écrits juifs préfigurant les écrits chrétiens). D’où la bipartition de la Bible chrétienne à la fin de l’époque étudiée entre « Ancien testament » (qui ne correspond pas vraiment au canon juif, la Bible hébraïque) et « Nouveau testament ».
En conclusion, s’il est juste d’affirmer que le christianisme se situe dans la filiation du judaïsme, on ne peut pourtant pas dire que le judaïsme introduit le christianisme, ni que ce dernier accomplit le judaïsme.
Les chrétiens, le pouvoir romain et le reste de la population
Les relations entre les chrétiens et le reste de la population et le pouvoir romain ont été assez diverses, en fonction des circonstances locales et de la situation des chrétiens au sein de chaque communauté civique. Il faut aussi distinguer entre réactions populaires et réactions impériales, et aussi entre deux époques, avant et après le milieu du IIIe siècle.
Généralement, les chrétiens professaient la soumission à l'empire et à l’empereur (plusieurs écrits chrétiens ont été ainsi adressés à des empereurs) et ils sont insérés dans le tissu social local.
Cependant, leurs rites et leurs doctrines entraînaient la méfiance de leurs voisins. Comme les chrétiens pratiquaient leur culte en privé, les populations locales les suspectaient parfois d'anthropophagie ou de meurtre rituel (accusations déjà portées contre les juifs). Comme les chrétiens ne participaient pas au culte civique ni aux sacrifices publics, les populations et les autorités locales éprouvaient une certaine défiance envers leur loyauté. Les philosophes, pour leur part, considéraient la doctrine chrétienne soit comme superstitieuse soit comme athée.
Localement, la méfiance de la population pouvait la conduire à lancer des pogroms contre les chrétiens, nécessitant l’intervention de gouverneurs locaux pour rétablir l’ordre public (cf. la lettre de Pline à l’empereur Trajan lui demandant des directives sur l’attitude à avoir vis-à-vis des chrétiens).
À partir du milieu du IIIe siècle, alors que l’empire subissait la pression de populations situées hors de ses frontières (les « Barbares »), Rome recherchait la loyauté des populations, lesquelles étaient entièrement composées de citoyens romains depuis l'édit de Caracalla de 212. Or cette loyauté se fondait principalement sur la participation au culte impérial et au sacrifice civique. Plusieurs empereurs ont alors émis des édits appelant tout citoyen à participer au culte et à sacrifier, sous peine de poursuites. Cela a conduit à des persécutions, en particulier sous Dèce (emp. 249-252), Valérien (emp. 257-258) et sous Dioclétien (emp. 284-305). Bien souvent les motivations étaient plus politiques que religieuses (notamment dans le cas de la persécution de Dèce). Les édits impériaux étaient toutefois plus ou moins appliqués au niveau local. Il est ainsi difficile de parler de persécutions généralisées et de quantifier le nombre de morts chrétiens, qui variait d’une région à une autre et était probablement moins important que le nombre retenu par la mémoire collective. Les persécutions ont donné lieu à une abondante littérature hagiographique écrite souvent bien après les faits relatés dont le but essentiel était de raffermir les chrétiens dans leur foi. Les persécutions ont pris fin en Orient en 311 avec Galère et en Occident en 313 avec Constantin.
Cependant, au-delà de ces relations parfois difficiles, les chrétiens devaient aussi beaucoup au milieu culturel gréco-romain.
Iconographie
Dans un premier temps, les chrétiens ont refusé les images (reprise de l’interdit mosaïque, volonté de se démarquer des Grecs et des Romains, mais aussi manque de finances pour réaliser des œuvres d’art). Puis, ils se sont aussi mis à faire des images, surtout en contexte funéraire dans un premier temps ; ils utilisaient des formes héritées de l’iconographie gréco-romaine (ainsi le Bon pasteur ressemblant à un Hermès Criophore ou des Christs barbus à des philosophes) tout en en changeant le sens.
Architecture
Avec Constantin qui a autorisé le culte chrétien, les chrétiens ont désormais pu avoir leurs lieux de culte spécifiques. Pour cette nouvelle architecture, ils ont eu recours non à la forme du temple mais à celle d’un bâtiment civil, la basilique romaine ; les raisons en sont à la fois religieuses et pratiques : il s’agissait de se démarquer des lieux de culte païens ; il y avait en effet des fonctionnements différents pour le lieu de culte chrétien (pour l’église chrétienne : lieu de célébration du culte, ouvert aux fidèles) et pour le temple païen (lieu où se trouve la statue de culte, où seul pénètre le prêtre). La forme rectangulaire de la basilique était enfin plus adaptée pour accueillir un grand nombre de fidèles.
Éléments de cadrage
Le programme
Le programme parle des débuts du christianisme, période qu’il étend jusqu’au IVe siècle, c’est-à-dire au moment où le christianisme est reconnu officiellement par l’empereur Constantin avant d’être déclaré religion officielle à la fin du siècle. S’il faut éviter de considérer la période de Constantin comme une rupture dans tous les domaines (en particulier en ce qui concerne la visibilité), il n’en reste pas moins que les décisions prise à cette époque ont eu des conséquences qui ont été bien au-delà du seul empire romain.
De même, il ne s’agit pas de dire qu’à la fin de cette période, le processus d’élaboration du christianisme est clos ; en fait il s’est poursuivi bien au-delà de cette période, avec des différences selon les lieux géographiques et culturels (ainsi entre le christianisme latin et le christianisme grec). Toutefois, les quatre premiers siècles ont posé les bases des développements ultérieurs.
Le programme invite à contextualiser, notamment les écrits du Nouveau testament. Cette recommandation est valable pour tous les faits qui seront étudiés dans le cadre de ce chapitre, car rien ne peut être généralisé. Il est nécessaire d’insister sur l’idée d’une élaboration qui se fait progressivement, avec des conflits et des heurts et que cette construction religieuse n’a pas suivi la même chronologie dans tout l’espace de l’empire romain.
Quelques repères historiques
37-4 avant l’ère commune : règne d’Hérode le Grand en Judée
Vers 6 avant l’ère commune : naissance de Jésus de Nazareth
14-37 : Tibère empereur
26-36 : procuratèle de Ponce Pilate
Vers 30 : crucifixion de Jésus de Nazareth
Vers 50 : épîtres de Paul
66-74 : première révolte des juifs de Judée contre Rome
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70 : prise de Jérusalem par Titus et destruction du second temple
Vers 68 : Ignace, évêque d’Antioche.
Peu avant 70-80 : mise par écrit des évangiles selon Marc, puis Matthieu, puis Luc.
Vers 95 : mise par écrit de l’évangile selon Jean.
107/113 : mort d’Ignace à Rome.
112 : lettre de Pline le Jeune à Trajan pour lui demander conseil sur l’attitude à avoir vis-à-vis de chrétiens.
180-185 : l’évêque de Lyon, Irénée écrit son Contre les hérésies, où il est le premier à dire qu’il y a quatre évangiles (III, 11.7-8).
212 : édit de Caracalla : toutes les populations de l’empire ont désormais la citoyenneté romaine.
249-251 : Dèce, empereur.
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250 : édit rendant le culte impérial obligatoire, pour souder la population de l’empire contre les dangers extérieurs.
284-305 : Dioclétien, empereur
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303-304 : quatre édits visant les chrétiens ; obligation de sacrifier.
311 : édit de Galère stoppant les persécutions en Orient.
313 : déclaration de Constantin reconnaissant le christianisme comme religion licite
325 : concile de Nicée ; Credo.
381 : édit de Théodose proclamant le christianisme religion d’État.
392-394 : édits de Théodose Ier : condamnation des cultes polythéistes, des jeux olympiques.
Notions de base
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Le terme « christianisme » est la translittération du grec christianismos et n’est pas une invention très postérieure à l’époque étudiée. En effet, il est utilisé pour la première fois en Asie Mineure par Ignace d’Antioche dans ses lettres (première moitié du IIe siècle) et il signifie « le fait d’être chrétien / la manière de vivre en chrétien ».
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Le terme « chrétien » est la translittération du grec christianos, lui-même construit sur le terme grec « christos », auquel est ajouté le préfixe –ianos, selon un procédé courant (cf. les Ἠρῳδιανοί, les Hérodiens, partisans d’Hérode). Christianos, chrétien, signifie ainsi les « partisans de Christ ». Christianos se trouve pour la première fois dans les Actes des apôtres 11.26, et il s’agirait plutôt d’une désignation extérieure reprise ensuite par les chrétiens eux-mêmes.
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Christos est l’équivalent grec de l’hébreu machiah (translittéré en français messie) qui signifie « oint », « celui qui a reçu une onction royale ». Dans le judaïsme, au départ, est ainsi désignée toute personne qui est investie d’une mission divine ; puis le terme est associé à la fin des temps et désigne le sauveur, le rédempteur qui apparaîtra à la fin des temps. Il ne s’agit pas d’un nom propre, mais d’un titre. Le fait qu’un groupe d’individus l’applique à Jésus après sa mort relève d’un acte de foi : ils affirment ainsi que Jésus est le messie tant attendu. Cependant, cette application est intéressante historiquement car cela montre aussi que ce groupe relit sous un jour nouveau la vie de Jésus et les événements qui se sont déroulés après sa mort. Peu à peu, ce titre est devenu un nom propre.
Sources
Les sources à la disposition des chercheurs sont de trois ordres.
Sources littéraires internes
Elles sont relativement nombreuses, avec des statuts différents construits au cours des IIe - IVe siècles .
Les unes sont devenues canoniques entre la fin du IIe et la fin du IVe siècle :
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les épîtres de Paul (années 50) ;
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les quatre évangiles (selon Marc : peu avant 70 ; selon Matthieu : après 70 ; selon Luc : vers 70-80 ; selon Jean : vers 95) ;
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les Actes des apôtres (vers 70-80, même auteur que l’Évangile selon Luc) ;
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les épîtres de Paul non authentiques,
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les autres épîtres et l’Apocalypse (fin du Ier siècle).
Les autres ne font pas partie du canon en voie de constitution. Il y a les écrits apologétiques (défense de la foi chrétienne), doctrinaux et exégétiques (commentaires des Écritures) ; par exemple, la Didachè (du Ier siècle), Justin et son Apologie (milieu du IIe siècle), Clément (env. 150 – env. 220) et ses Stromates, Origène, etc.
D’autres, enfin, ont été peu à peu considérés comme « déviants » et ont été rejetés, notamment au moment de la formation du canon ; ce sont les écrits dits « apocryphes », écrits dès la fin du Ier siècle. Parmi eux, on trouve les écrits gnostiques.
Bien que ces sources soient des témoignages de foi, elles ne sont pas à négliger. Elles donnent des indications sur les différentes représentations de Jésus Christ que se font les communautés chrétiennes, sur ces communautés elles-mêmes (diversité, organisation, rites, rapport entre les communautés chrétiennes et entre celles-ci et les autres communautés), sur les doctrines et les croyances qui se développent.
Sources littéraires externes
Elles sont peu nombreuses.
Pour le premier siècle :
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le juif Flavius Josèphe, Antiquité juives 18, § 63-64 et 20, § 200
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le grec Thallos, fragments transmis par le chrétien Sextus Julius
Pour le début du deuxième siècle :
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le latin Pline le jeune, lettre à Trajan
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l'empereur Trajan, réponse à Pline (Lettres 10, 97)
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le latin Tacite, Annales 15.44
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le latin Suétone, Vie de Claude 25.11 et Vie de Néron 16.3
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l'empereur Hadrien, une lettre transmise par le chrétien Justin, Apologie 1, 68 ; une seconde (conservée par Flavius Vospicus, Le Quadrige des tyrans 8) est considérée comme fausse.
Pour la seconde moitié du deuxième siècle :
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le Syrien stoïcien Mara Bar Sérapion, lettre à son fils Sérapion (BM, ms. syriaque 14658)
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le satiriste grec Lucien de Samosate, La Mort de Pérégrinos
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le philosophe grec Celse, fragments dans le Contre Celse du chrétien Origène
Ces sources attestent de l’existence de communautés se réclamant de Jésus / Christ et certaines apportent quelques éléments sur Jésus, avec parfois un point de vue très négatif. Elles donnent aussi des indications sur les relations entre les « païens » et les chrétiens.
Sources archéologiques
Elles sont elles aussi peu nombreuses durant les trois premiers siècles. À partir de la seconde moitié du IIe siècle, l’art funéraire chrétien se développe. Cf. les catacombes à Rome. Les premiers vestiges d’églises chrétiennes datent du IVe siècle.
Textes de référence
Justin, Première apologie des chrétiens, adressée à l’empereur Antonin le Pieux.
« Quant à nous, après avoir lavé celui qui croit et s’est adjoint à nous, nous le conduisons dans le lieu où sont assemblés ceux que nous appelons frères. Nous faisons avec ferveur des prières communes pour nous, pour l’illuminé, pour tous les autres, en quelque lieu qu’ils soient, afin d’être jugés dignes, après avoir appris la vérité, d’être trouvés pratiquant la vertu et gardant les commandements, et d’être ainsi sauvés pour un salut éternel. Quand les prières sont terminées, nous nous donnons le baiser de paix. Ensuite on apporte à celui qui préside l’assemblée des frères du pain et une coupe d’eau et de vin trempé. Il les prend et loue et glorifie le Père de l’univers par le nom du Fils et de l’Esprit-Saint, puis il fait une longue action de grâces [eucharistia] pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Quand il a terminé les prières et l’action de grâces, tout le peuple présent pousse l’exclamation : “Amen”. “Amen” est un mot hébreu qui signifie : “Ainsi soit-il”. Lorsque celui qui préside a fait l’action de grâces, et que tout le peuple a fait l’acclamation, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des présents le pain, le vin et l’eau qui ont reçu l’action de grâces, et ils en portent aux absents. »
Martyre de Polycarpe
« IV. Mais l’un d’entre eux, nommé Quintus, un Phrygien récemment arrivé de Phrygie, fut pris de peur à la vue des bêtes. C’est lui qui avait entraîné quelques frères à se présenter spontanément avec lui devant le juge. Le proconsul, par ses prières instantes, réussit à le persuader de jurer et de sacrifier. C’est pourquoi, frères, nous ne louons pas ceux qui se présentent d’eux-mêmes, puisque ce n’est pas l’enseignement de l’Évangile. V, 1. Quand à l’admirable Polycarpe, tout d’abord il ne se troubla pas à ces nouvelles, mais il voulait rester en ville ; mais la plupart cherchaient à le persuader de s’éloigner secrètement. Il se retira donc dans une propriété située non loin de la ville, avec un petit nombre <de compagnons>. […] IX, 1. Enfin, on le (Polycarpe) fit entrer [dans le stade], et le tumulte fut grand quand le public apprit que Polycarpe était arrêté. 2. Le proconsul se le fit amener et lui demanda si c’était lui Polycarpe. Il répondit que oui, et le proconsul cherchait à le faire renier en lui disant : “respecte ton grand âge” et tout le reste qu’on a coutume de dire en pareil cas ; “jure par la fortune de César, change d’avis, dis : À bas les athées.” […] Polycarpe répondit : “il y a quatre-vingt-six ans que je sers le Christ, et il ne m’a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon roi qui m’a sauvé ?” […] XII, 1. Ils (la foule) demandaient de lâcher un lion sur Polycarpe. Mais on n’en avait pas le droit, car les combats de bêtes étaient terminés. Alors ils crièrent tous “que Polycarpe soit brûlé vif” […] XV. Les hommes allumèrent un grand feu. […] (Polycarpe) était au milieu, non comme une chair qui brûle, mais comme un pain qui cuit … et nous sentions un parfum pareil à une bouffée d’encens ou à quelque autre précieux aromate »
(traduction dans Les écrits des Pères apostoliques, Sagesses chrétiennes, Paris, Cerf, 2001 ; traduction accessible en ligne : http://bibliotheque.editionsducerf.fr/par%20page/5524/TM.htm#)
Sélection iconographique
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Nativité sur un sarcophage en marbre, IIIe siècle, Musée Pio Christiano, Cité du Vatican. (voir Hatier, Histoire 6e, p. 136).
Aspect artistique : dépendance vis-à-vis de l’art gréco-romain.
Sens : comparer avec le récit de l’Évangile selon Matthieu qui parle bien de mages et de trois présents et voir comment ce document iconographique atteste aussi de traditions orales, dont le chercheur a des traces écrites parfois plus tardives que le document iconographique. La qualification de rois apparaît au IIe siècle (cf. en particulier Tertullien) ; le nombre de trois mages apparaît au IIIe siècle (Origène, Homélies sur la Genèse 14.3 : fixe le nombre à trois en se basant sur les trois présents mentionnés par Mathieu) ; la présence de l’âne et le bœuf est attestée dans les sources écrites, apocryphes, à partir de la fin du VIe siècle (cf. Évangile du pseudo-Matthieu).
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Cuve fragmentaire de sarcophage de Livia Primitvia, Ier quart du IIIe siècle, Musée du Louvre, Paris ; découvert à Rome, sous la basilique Saint-Pierre (http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=20714&langue=fr)
Influence biblique (Jn 10.11 ; Lc 15.3-7 et aussi Ps 23 et Is 40.11) et polythéiste (cf. les représentations d’Hermès criophore).
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Catacombes de Rome : http://www.catacombe.roma.it/fr
Bibliographie
Ouvrages
Sources
Écrits apocryphes chrétiens, sous la direction de François Bovon et Pierre Geoltrain (“La Pléiade”), Paris, Gallimard, 2 tomes, 1997, 1782 p.
Écrits apocryphes chrétiens, tome 2, sous la direction de Pierre Geoltrain et Jean-Daniel Kaestli (“La Pléiade”), Paris, Gallimard, 2005, 2156 p.
La Bible. Nouveau Testament (“La Pléiade”), Paris, Gallimard, 1971, 1055 p.
La Bible. Notes intégrales. Traduction œcuménique, Paris, Cerf-Société biblique française-Bibli’o, 2010.
Études
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Domaines religieux : Christianisme, Christianisme : Origines et corpus, Christianisme : Origines et corpus : Jésus-Christ, Christianisme : Période : II°-X° siècles, Christianisme : Politique et société : Relations avec le judaïsme
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Référence du document
« Van den Kerchove Anna, Van den Kerchove Anna, Les débuts du christianisme » , 2012 , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 02/01/2017, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/fiches-pedagogiques/debuts-du-christianisme