IOGNA-PRAT Dominique, Ordonner et exclure : Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au judaïsme et à l'islam, 1000-1150, Paris, Aubier, 1998 ; 2ème éd. corrigée Champs / Flammarion, 2000, 507 p.
Sommaire
Résumé
À partir de la fin du IVe siècle et tout au long du premier millénaire, un processus s’est effectué menant à l’inclusion de la société dans une structure englobante, l’Église ; cette dernière ne désigne pas seulement une communauté de foi mais est dotée d’une dimension institutionnelle ayant un centre (Rome) et des limites destinées à être sans cesse repoussées face aux païens et aux infidèles. L’enquête scrute le point d’aboutissement de cette évolution, aux XIe-XIIe siècles, à travers l’exemple de Cluny sous l’abbatiat de Pierre le Vénérable (1122-1156) ; en effet le succès prodigieux de ce puissant réseau de maisons a amené ses membres « à confondre leur Église et l’Église universelle » (p. 12). Dans la première partie, l’auteur s’attache à cerner les mécanismes idéologiques et culturels ayant mené à cette confusion. Il donne ainsi au lecteur les clefs permettant de comprendre la structure clunisienne au service de l’ordre et, dans la suite de l’ouvrage, ce qui était perçu comme menaçant pour cet ordre et fut combattu comme tel. En fait, la figure de Pierre le Vénérable est au centre du livre, puisque les deux autres volets sont consacrés à l’analyse de la trilogie des grands traités composés par l’abbé : le Contra Petrobrusianos (« Contre les Pétrobrusiens »), l’Adversus Iudeos (« Contre les Juifs ») et le Contra sectam Sarracenorum (« Contre la secte des Sarrasins »). Au total, c’est bien un ensemble cohérent qui est proposé, une véritable histoire des dynamiques à l’œuvre au sein de l’Église (Ecclesia) au moment où elle parvenait à l’âge de la maturité (chap. 1 et 2) et entreprenait de lutter contre ses ennemis de l’intérieur (chap. 3-8) comme de l’extérieur (chap. 9-12). Pierre de Bruis fut en effet l’un de ceux qui s’élevèrent le plus violemment, dans les années 1110-1120, contre les principaux fondements de la société chrétienne, affirmés désormais comme essentiels par l’œuvre de la réforme grégorienne : le baptême des enfants et d’une façon générale les sacrements ; le culte de la croix, la liturgie funéraire et les lieux consacrés, symboles d’une Église terrestre pervertie. En réfutant ces remises en question, Pierre le Vénérable dessine les traits constitutifs d’une identité collective et offre ainsi en négatif, c’est-à-dire au miroir de l’exclusion, une véritable « sociologie de la chrétienté à l’âge féodal » (p. 254-262). Cette définition eut un prix, « l’émergence d’une société d’intolérance » (p. 262). Pour ne pas faire d’anachronisme, toutefois, il convient d’avoir à l’esprit que Pierre le Vénérable était persuadé de la nécessité d’un combat farouche contre le vaste et séculaire complot diabolique dont les hérétiques et les infidèles étaient les bras armés. C’est ce qui l’amène à entrer dans la bataille en étant l’un des premiers intellectuels occidentaux, sinon le premier à s’intéresser au Talmud et à faire traduire en latin le Coran ainsi que d’autres textes relatifs à l’islam. La troisième partie de l’ouvrage est ainsi consacrée à la constitution d’un armarium, ce que l’auteur traduit par « armoire-arsenal chrétienne » (p. 337), afin de mener la guerre des idées contre les ennemis de la chrétienté. Au terme de l’étude, c’est désormais d’une « anthropologie chrétienne » que l’auteur peut extraire les éléments fondamentaux, en une période où « la société occidentale se définit par ce qu’elle rejette dans l’inhumain » (p. 361).
Points forts
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Un propos clair et pédagogique, notamment grâce au soin mis dans l’articulation logique et aux retours réguliers sur les acquis de la réflexion.
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Sous l’analyse scientifique de haut niveau, le souci revendiqué d’une « intelligibilité de notre modernité » (p. 16). Ce livre est donc aussi un livre sur le rapport à l’altérité, et sur la tyrannie de l’anneau unique — pour reprendre un vieux thème immortalisé en particulier dans le Nathan le Sage de Lessing.
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De très utiles pages sur les racines médiévales de l’« antisémitisme », abordé sous l’angle de la distinction avec l’« antijudaïsme » (p. 320-323).
LV.
Domaines religieux : Christianisme : Doctrines et courants : Église catholique, Christianisme : Origines et corpus : Théologie, Christianisme : Période : Moyen Age, Christianisme : Politique et société : Relations avec le judaïsme, Christianisme : Politique et société : Relations avec l’islam
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Référence du document
Recension : « Iogna-Prat Dominique, Ordonner et exclure : Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au judaïsme et à l'islam, 1000-1150 » Aubier, 2009, 507 p., , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/ordonner-exclure-cluny-societe-chretienne-face-a