Hérésie et inquisition dans le Midi de la France
Sommaire
Résumé
Cet ouvrage rassemble six études parues dans différentes publications et qui sont ainsi rendues plus accessibles tout en donnant à voir, comme le veut la collection des « Médiévistes français », la cohérence des recherches de leur auteur. Elles sont en outre précédées d’une mise au point introductive sur la façon d’approcher le phénomène de la dissidence religieuse méridionale, trop longtemps abordée en ignorant le contexte dans lequel elle s’insérait et l’emprise qu’exerçait, depuis le XIIe siècle, le discours des clercs. Car c’est bien d’une construction intellectuelle forgée par ces derniers à partir de textes des Pères de l’Église qu’est issue l’idée d’une religion unique et structurée, fondée sur le dualisme et organisée en une « contre-Église » menaçant l’ordre chrétien. Les quatre articles rassemblés en un premier volet (L’hérésie. Approches) s’emploient à le démontrer par une méticuleuse et implacable dissection de ce discours des clercs. Il s’agit d’abord de souligner en quoi la religion des « bons hommes » a été le produit, dans le contexte de la Réforme grégorienne, des aspirations spirituelles de fidèles sensibles à un évangélisme revivifié, mais aussi de l’anticléricalisme croissant au sein des élites de la bourgeoisie urbaine et de la petite noblesse, en proie à un mal-être suscité par les évolutions socio-économiques du temps comme par les prises de position de l’Église (chap. 1). À partir de là, il est vain de chercher à tout prix une origine orientale aux mouvements spirituels et sociaux actifs, entre autres, dans le Midi, sauf à perpétuer en fait un véritable « récit des origines » (p. 63) construit à partir d’une conception perceptible dès la fin du XIIe siècle au sein de l’Église romaine. L’historien se trouve bien face à un phénomène occidental (chap. 2) dont la filiation avec les Bogomiles gréco-bulgares de l’An Mil n’est attestée par aucun document historique qui puisse résister à l’analyse. Les dissidences religieuses des XIe-XIIe siècles sont endogènes et doivent être appréhendées comme toutes les « hérésies », rappelle avec force l’auteur, c’est-à-dire comme des phénomènes liés par essence et de façon dialectique à l’orthodoxie. Elles ne peuvent donc être comprises en évacuant cette dernière, puisqu’elles résultent à chaque fois « d’un processus de définition et d’exclusion conduit par les clercs » (p. 107) et empruntent également aux spéculations intellectuelles menées dans les écoles (chap. 3). Un travail serré mené sur les appellations de « Cathares » et surtout d’« Albigeois » montre bien le rôle de l’Église, à l’édification de laquelle la désignation d’adversaires, qui acquéraient ainsi « identité et consistance » (p. 143), a fortiori dans le contexte de la croisade déclenchée en 1209, a pleinement participé (chap. 4). Ainsi l’instrumentalisation de l’hérésie, opérée à des fins politiques (ambitions des voisins du comté de Toulouse) tout autant que religieuses (volonté de la papauté d’imposer son autorité et ses légats) a-t-elle bénéficié d’une arme redoutable, l’inquisition, dont les deux dernières études de l’ouvrage, rassemblées en un second volet (L’inquisition en Languedoc), soulignent l’efficacité tout autant que les limites (chap. 5 et 6). La répression a frappé de façon discernée, décapitant lignages aristocratiques et oligarchies urbaines, décimant le clergé de la dissidence, devenu squelettique après 1280 alors même que l’essor de la pastorale des Mendiants, au contraire, apportait à l’Église catholique le souffle nouveau dont elle avait besoin pour mieux répondre aux aspirations des fidèles.
Points forts
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Sous la plume de l’un des meilleurs spécialistes, le socle d’une véritable réécriture de l’histoire du « catharisme » en France méridionale, « refusant l’imaginaire et l’idéologie, les parti-pris et les a priori » (p. 7). Par là-même, un ouvrage qui offre aussi une leçon d’historiographie de la longue durée, y compris sur l’époque contemporaine (voir en particulier p. 69-73 : « Généalogies des XIXe et XXe siècles », précédant l’analyse critique du dossier documentaire. Ou encore, p. 108-109 : « L’histoire est mouvement et diversité »).
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La connaissance intime des sources, en particulier des registres de sentences conservés, dont l’analyse permet de cerner les contours d’une dissidence très minoritaire — 5% de la population, souvent moins.
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Un antidote contre les dérives « néo-cathares » de l’Occitanie éternelle – au mieux fantaisies touristiques (cf. p. 143, sur « le pays cathare »), au pire manipulations idéologiques douteuses.
L.V.
Domaines religieux : Christianisme, Christianisme : Doctrines et courants : Église catholique, Christianisme : Origines et corpus : Théologie, Christianisme : Période : Moyen Age, Christianisme : Politique et société, Christianisme : Rites et pratiques : Clergé
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Référence du document
Recension : « Biget Jean-Louis, Hérésie et inquisition dans le Midi de la France » Picard (Les médiévistes français, 8) , 2010, 247 p., , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 12/16/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/heresie-inquisition-midi-france