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Ukraine : de l'indépendance politique à l'indépendance religieuse

15/01/2025

Sommaire

 

«La dimension religieuse du conflit russo-ukrainien n’est peut-être pas la plus importante, mais son caractère fortement symbolique permet d’en faire ressortir les ressorts profonds : la volonté pour les Ukrainiens de tracer leur chemin et ne plus être considérés comme une sous-nation constitutive de la Russie»: dans un article du dernier numéro de la Revue théologique de Louvain (1), Renaud Rochette (IREL, EPHE-PSL) aborde les aspects religieux de la guerre en revenant aux origines d'un différend qui a tout de même provoqué en 2018 un schisme au sein de l'Orthodoxie internationale entre le patriarcat œcuménique de Constantinople et le patriarcat de Moscou, ainsi que la quasi-réunification de fait des trois Églises qui se partageaient jusque là l'Orthodoxie ukrainienne. 

Revenir aux origines suppose d'abord de comprendre le fonctionnement particulier de l'Orthodoxie avec des Églises autocéphales qui «sont indépendantes, mais pas séparées: il n’y a aucune différence doctrinale, la liturgie est sensiblement la même, et les sacrements sont valides d’une Église à l’autre. Le monde orthodoxe est une confédération d’Églises dont l’unité est garantie par le sentiment de partager la même foi, la fidélité à une même tradition remontant aux conciles œcuméniques, et la coopération harmonieuse des primats». Mais il y a justement désaccord sur le processus menant à l'autocéphalie puisque «le patriarche de Constantinople considère que c’est une de ses prérogatives en tant que patriarche œcuménique, sans compter que les nouvelles Églises ont toutes été détachées de son territoire canonique». Alors que «l’Église orthodoxe russe estime que c’est une prérogative de l’Église dont va être détachée la future Église autocéphale».

La question de l'autocéphalie de l'Église orthodoxe d'Ukraine, vivement réclamée à Constantinople par l'État ukrainien après la première invasion russe en 2014 (annexion de la Crimée et guerre du Donbass) va raviver un différend historique entre les patriarcats de Constantinople et de Moscou à propos d'un acte vieux de plus de 3 siècles: Constantinople avait accepté que Moscou prenne à sa charge la métropole de Kiev en 1686, après la prise définitive de la ville (sous autorité lituano-polonaise depuis le 15e siècle) par l'Empire russe. Pour Constantinople, il s'agissait d'un «expédient: le patriarche n’est pas en mesure de faire respecter son autorité et accepte que le patriarche de Moscou s’occupe de la métropole de Kiev, mais sans qu’il s’agisse d’un transfert, puisqu’il ne confère au patriarche de Moscou que le droit de consacrer le métropolite de Kiev, qui doit être élu par son Église, conserver ses privilèges anciens et commémorer le patriarche de Constantinople». Or, «aucune de ces conditions n’a été respectée». Pour Moscou, «il y a eu un transfert en bonne et due forme» et «la métropole de Kiev est une partie intégrante» de l'Église orthodoxe russe, les arguments étant «très proches de ceux utilisés pour nier l’existence d’une nation ukrainienne». D'où la rupture qui suit immédiatement l'annulation de l'acte de 1686 par Constantinople le 11 octobre 2018: «Le lendemain, le Conseil de sécurité de la Fédération russe se réunit pour discuter de la situation de l’Église orthodoxe russe en Ukraine» et le 15, «l’Église orthodoxe russe annonce rompre la communion et toute forme de rapports avec le patriarcat de Constantinople et toutes les Églises qui en dépendent. C’est le schisme. Le 5 janvier 2019, Bartholomaios confère l’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine formée lors du synode d’unification» du 15 décembre 2018. 

Unification car il existait deux Églises orthodoxes en Ukraine depuis la guerre civile et même trois depuis les premières années de la deuxième indépendance. L'unification de la fin 2018 crée l'Église orthodoxe d'Ukraine qui réunit l'Église orthodoxe ukrainienne Patriarcat de Kyïv créée en 1992 par le patriarche Filaret en conflit avec Moscou (29% des fidèles en 2018), l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne proclamée en 1920 mais résiduelle (moins de 1% des fidèles) et deux évêques de l'Église orthodoxe ukrainienne Patriarcat de Moscou (13% des fidèles pour l'ensemble de cette Église qui reste liée formellement à l'Église russe). L'invasion russe de 2022 a encore fragilisé la situation de cette dernière Église dont l'attitude a été ambivalente et qui, malgré ses condamnations officielles de l'invasion, est «perçue comme un agent de la Russie», dont le nombre des fidèles s'est effondré à 4% des Ukrainiens et qui est peu à peu délogée des lieux symboliques qu'elle occupe encore comme le monastère des grottes de Kyïv en 2023. 

Pour Renaud Rochette, «l’invasion russe de l’Ukraine est probablement une étape importante dans l’histoire de l’orthodoxie. Si la Russie entendait consolider l’emprise de l’Église orthodoxe russe, la réprobation internationale a fragilisé celle-ci hors des frontières de la Russie. En Ukraine même, elle a plutôt accéléré la marginalisation de sa branche locale, prise entre la collaboration avec l’envahisseur et le renoncement à ses liens avec Moscou sur lesquels repose sa légitimité»

(1) Numéro 55/1 (2024), pp.81-104.

Illustration: le patriarche œcuménique Bartholomaios remet le tomos d'autocéphalie de l'Église orthodoxe d'Ukraine au métropolite Épiphane le  (president.gov.ua, CC BY 4.0).

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